Il nous les tend, scrutant nos visages en attendant une réaction.
Sur les photos un jeune homme pose le regard fier devant une bâtisse en bois au bras d'une jeune femme. Une photo de mariage.
"Moi...25ans... le temps est passé trop vite."
Mimant un oiseau qui s'envole avant qu'on ait pu le retenir, il le balaye d'un geste de la main, se détourne, dissimule une larme.
Devant les photos jaunies d'un passé qu'il tente de rappeler en le racontant à qui le veut bien, Murat a du mal à cacher son émotion.
Le petit dernier de ces 6 enfants est debout derrière lui, silencieux, grave. Il sait qu'il est le dernier qui pourrait reprendre l'affaire familiale. Peut-être que comme ses frères et soeurs il aimerait aller étudier en ville, mais il reste. Par loyauté pour se vieux père ou se village qui se vide et qui finira, un jour, par disparaître.
Encore une rencontre qui me bouleverse, me renvoie mes propres peurs au visage comme une poignée de sable dans les yeux. Je m'imagine à la place de ce vieil homme une photo jaunie de mon voyage dans les mains : "Moi...21ans...le temps est passé trop vite"
La mort ou la vieillesse ne fait pas peur, ce qui fait peur c'est l'oubli.
Mon village qui se vide c'est ce voyage et ses rencontres, je ne veux pas les oublier, je ne veux pas voir jaunir ces photos que sont mes souvenirs. La leçon du jour est cinglante: nous ne sommes pas éternels.
Déjà nous quittons Murat et son oiseau du temps, le mien est encore sur mon épaule et j'apprends à apprécier le poids de sa présence.