Depuis la Chine je recherchais le contact, le dialogue, avec une urgence grandissante. Si la Chine pouvait nous offrir le meilleur et le pire en l’espace d’une journée, une chose est certaine, sans un mot de chinois, il est difficile de discuter avec les gens que nous rencontrions.
En ajoutant à ça les différences de culture, et le fait que les chinois manquent cruellement de débrouillardise, il nous était presque impossible de communiquer.
Nous essayions pourtant mais sans grande réussite.
Alors lorsque nous sommes entrés au Laos, Jessica, Alban et moi, nous avons cru revivre. Les « Sabaidiii ! » des habitants accompagnés de sourires nous ont fait retrouver nos vieux réflexes. Nous nous plongeons à nouveau dans les guides de conversations pour apprendre un peu de la langue, nous redemandons notre chemin sans craindre d’être ignorés et nous nous engageons dans les petits chemins de terre qui conduisent aux hameaux les plus reculés ou aux cascades qui n’intéressent personne faute d’être dans le Lonely Planet.
Et ça paye !
3ème jour au Laos et nous choisissons, au détour d’un chemin, de nous arrêter sur une place de village animée pour manger. Loin d’être un restaurant il s’avère qu’il s’agit d’une fête annuelle à laquelle on s’empresse de nous inviter !
Se baissant pour entrer dans une case où la moitié du village s’entasse, des dizaines de paires d’yeux nous observent en souriant, toutes les générations sont là autour d’un couple d’anciens et d’une montagne d’offrandes.
Crâne de buffle, fleurs de bananiers, jarre d’alcool de riz, viandes diverses et encens, ce petit rien qui vous fait chuchoter comme dans un lieu saint, pas de doute nous allons vivre un moment inoubliable.
Nous avons la chance d’être accompagnés par un jeune du village qui nous explique ce que nous voyons et qui nous encourage, à la demande du chef du village, à y participer.
De ce que nous avons compris et déduis cette fête est une cérémonie précédant le nouvel an Laotien d’un mois, elle rend hommage aux plus vieux, le « Grand-Père » et la « Grand-Mère » du village, en leur nouant aux poignets des cordelettes parfois accompagnés de billets, ainsi, en nouant les bracelets chacun leur tour, les villageois font un souhait pour les anciens.
Ces derniers sont lavés par tous les villageois avant la cérémonie, frottés vigoureusement au savon par des centaines de mains puis, participe avec tout le village à un grand repas accompagné de musique, de danses et de chants.
Nous nouons nous aussi nos bracelets, partageons un alcool de riz sucré que nous buvons à l’aide de longue pailles dans une jarre de terre cuite puis sortons participer à la fête.
Dehors c’est l’euphorie, chacun veut nous inviter à sa table, nous offrir ici une bière, là une cigarette, ou encore nous faire gouter aux spécialités cuisinées pour l’occasion. Des éclats de rire accompagnent chacun de nos gestes maladroits au maniement des baguettes ou nos grimaces lorsque nous acceptons naïvement le classique « défi du piment vert» lancé par un jeune du village.
Les barrières tombent peu à peu, les verres de whisky laotien (comprendre alcool décapant) aidant, et bientôt les appareils photos mitraillent des deux côtés, les danses se succèdent et je décide de sortir mon saxophone que je transporte depuis la Chine pour improviser un peu sur la musique laotienne qu’un groupe joue pour l’occasion. Très vite je retrouve une ambiance que j’avais vécue en Afrique et les souvenirs reviennent, poignants, des adieux qui suivront. Je profite donc de ce moment incroyable pour organiser des jeux avec les enfants du village j’encourage même deux ou trois adultes à venir partager ces jeux et bientôt c’est les rires de tout ce village qui accompagnent ceux des enfants se coursant sur la place, slalomant entre cannetons, chiens, poussins et autres animaux. Il nous faut pourtant partir, bien qu’il ne soit que 18h, la nuit commence à tomber et nous devons rallier la guesthouse la plus proche à une dizaine de kilomètres alors que nous tenons à peine debout. C’est maintenant à nous de slalomer entre les nids de poule pour arriver enfin à bon port, sain et sauf mais lessivés. 19h30 nous dormons, tout tourne, nous sommes loin d’imaginer alors que le lendemain nous arriverons après 120km à Luang Prabang, capitale des hippies backpackers pourtant invisibles dans les campagnes.
Luang Prabang
Nous y voilà, la nuit tombe et nous venons d’atteindre le centre ville de Luang Prabang qui est en fait minuscule (70'000 habitants).
Décrit par beaucoup comme leur coup de cœur en asie du sud-est, il est vrai que la deuxième ville du Laos à des arguments pour séduire, construite à l’embouchure de la rivière Nam Ou dans le Mékong et dégageant une ambiance décontractée on y flânerait volontiers sautant d’une terrasse à une autre.
Oui mais voilà, victime de sa popularité Luang Prabang attire un très grand nombre de touristes et pour nous c’est nouveau. On se retrouve dans une vieille ville dans laquelle il y a plus de touristes que de locaux, dans un marché où les gens se bousculent pour acheter des souvenirs, et on ne peut s’empêcher de se souvenir que la plupart des gens voyagent pendant les vacances et agissent donc en vacanciers, excursions tous les jours, habituel achat et port de l’habit le plus adapté (un plus s’il est coloré et fait exotique) et évidemment sorties nombreuses pour savourer les cocktails pas chers.
Le premier réflexe est donc celui du rejet, peut être effectivement suis-je devenu « élitiste du voyage » comme on me l’a dit, mais après y avoir réfléchi longuement ce que je n’aime pas dans cette ville c’est qu’elle me renvoie à mon statut de touriste. A vélo ou pas, on me traite en touriste. Je suis un potentiel utilisateur du Tuck-tuck, je suis assailli des mêmes « Waterfall today ? » des mêmes « Change money ? » que n’importe qui. Je ne suis plus le voyageur spécial qui passe et qui fait rire les gens, celui qu’on invite pour boire quelque chose, qu’on presse de questions, non ici je suis anonyme. Un touriste parmi les autres.
Je m’étais fait à cette impression, celle d’être différent, mais si le vélo change la façon dont on nous perçoit, il ne nous change pas non plus en laotien, chinois ou kazakh. Alors dès le moment où l’on pose le pied dans un lieu touristique le mécanisme s’enclanche : délit de faciès, touriste, waterfall today. ?
Mais rendons à Luang Prabang justice. C’est effectivement une ville où il fait bon vivre, les restaurants occidentaux sont nombreux, les prix abordables (sans pour autant être donné comme on me l’avait assuré), les alentours jolis et les activités nombreuses. Si vous souhaitez partir en vacances, allez-y ça en vaut la peine.
Et puis j’y retrouve des amis, Max et Emily tout d’abord que j’avais quitté 2 semaines auparavant, et, coincidence étonnante, je retrouve Eveline et Kristof (voir page des voyageurs croisés) les premiers cyclistes que j’ai croisé à mon départ. C’était en mars, en Allemagne, 8mois plus tôt et à 12’000km de Luang Prabang. Je les avais vu que 2minutes alors et, magie du voyage à vélo et de son esprit communautaire, je les retrouve comme des amis de longue date. On se raconte donc nos mésaventures respectives en partageant un sandwich et un Banana shake, Luang Prabang est sauvée.
Au fil de l’eau sur le Mékong et excursion thailandaise
Alban, Jessica et moi décidons de fuir Luang Prabang l’espace de quelques jours pour atteindre le nord de la Thaïlande, y rouler un peu puis revenir au Laos pour Noël. Nous embarquons donc, non sans une bonne dose de stress pour trouver le lieu d’embarquement, dans un des bateaux qui remonte le Mékong en deux jours, deux jours de lecture, de photos, et de sieste sur ce fleuve mythique. Une escale à Pakbeng où nous nous autorisons l’achat d’une bouteille de vin rouge, et une quinzaine d’heure de navigation plus tard nous faisons nos premiers mètres en Thaïlande !
Là encore contraste entre campagne et ville ! La campagne est absolument désertée par les touristes ce que nous ne pouvons qu’apprécier alors que les villes sont victimes du tourisme…seule différencce avec le Laos : le type de tourisme.
La Thaïlande est exactement comme je le craignais, refuge des vieux hippies, harem pour riche occidental et destination de vacances très prisée des plus paresseux.
De pire en pire, il me semble que l’Asie du Sud-Est dans son ensemble est facile, prémâchée…
Je regrette les difficultés des pays d’Asie centrale, les rencontres louches, la corruption, les changes au noir, la nourriture ignoble, le temps trop chaud ou trop froid, ce que certains appellent « l’aventure » me manque. Je suis en vacances sans en avoir envie…
Vous me direz que je suis probablement le seul, que vous rêveriez d’échanger votre place et je comprends, cependant c’est exactement ce que je ressens, le sentiment de ne pas, de ne plus, être à ma place. C’est probablement le signe que j’attendais, celui qui m’indique qu’il est temps pour moi de rentrer.
Je reprends donc le chemin du Laos, pour y passer Noël en pensant à la Suisse, essayer de continuer de profiter au mieux, peut être que ce sentiment passera et que je reprendrai goût à la route, pour l’instant c’est dur même si certains bivouacs dans des temples bouddhistes restent incroyables. Ma tête est déjà ailleurs.