C'est qu'il est difficile de mettre toutes ces émotions à l'écrit, mon esprit déborde de souvenirs en vrac et il est parfois compliqué de trouver celui qui touchera, qui intéressera parmi les centaines d'autres qui font mon quotidien.
Je me contenterai donc d'une ou deux anecdotes qui, pour un moment j'espère, vous feront traverser les kilomètres qui nous séparent.
La première est une rencontre avec un jeune de 21 ans qui m'a accueilli chez lui pour une nuit. Une nuit qui s'est vite transformée en 3 jours.
J'ai trouvé en Kristijan un frère de substitution, comme un grand frère vous montrant le chemin à suivre, Kristijan a détruit le restant de peurs et d'appréhensions qui me suivaient depuis le départ d'Arthur. Il m'a fait réaliser que je n'avais rien à craindre de la solitude car elle n'est qu'une nouvelle fausse certitude que nous construisons en nous. C'est lorsque nous pensons être seul que les rencontres viennent bousculer notre réalité.
J'ai passé 3 jours à travailler avec lui dans son vignoble et à nourrir les quelques chèvres et moutons qu'il possédait et ce n'est que lorsqu'il m'a dit qu'il était heureux d'avoir vaincu ses propres peurs et de m'avoir arrêté sur la route pour m'inviter que j'ai compris que nous cherchions la même chose.
Il m'expliqua alors que son rêve était de pouvoir vivre de sa production et de construire de ses mains la maison où il fonderait une famille. La liberté dans la sédentarité. "Pour moi, le plus grand bonheur, c'est de sentir l'odeur du foin séché lorsque je viens nourrir mes bêtes" m'a-t-il avoué. Je crois que je le comprends.
Le second souvenir que je veux partager est un souvenir sonore, arrivé à Zadar sur la côte croate je me suis assis face à la mer à côté d'une des attractions de la ville: L'orgue marin
Cet orgue utilise les courants marins pour fonctionner et produit un son aléatoire en fonction de ces derniers. En soit, la beauté de ce son est déjà un bon souvenir, mais ce qui rend ce souvenir spécial c'est le fait d'être assis, seul, au milieu de la foule de vacanciers et de réaliser que de tous ces gens, pas un seul n'écoute. Tous s'exclament, rient, crient ou prennent des photos mais aucun n'écoute ce son profond et humble de l'eau qui parle. Dans ces moments on se sent fier, fier de ne pas s'être fait happer par les parcours touristiques téléguidés et de n'être là que parce qu'un courant vous y a fait vous échouer.
Le troisième souvenir est une ambiance, mélange d'odeurs de fleurs d'orangers et de lilas dans les ruelles des quartiers résidentiels des villes de la côte croate. J'aime m'y promener parce que je m'y sens anonyme, ici pas de touriste, seulement des enfants qui jouent au foot contre un mur, une vieille dame qui étend son linge au balcon en jurant contre son mari attablé au café, clope au bec et marcel taché. Ces bruits de ballon contre le mur, vous les entendez ? Ce sont les secondes qui s’égrènent, inlassablement.
Moi, marchant tout seul, écoutant le temps qui passe, je me dit que ses jurons ne sont plus adressé au mari mais à ces secondes qui défilent, trop vite.
Le quatrième et dernier souvenir que j'aimerais partager avec vous c'est la réflexion et le combat d'un enseignant d'art dans une école primaire de l'île de Korcula.
Pendant quelques heures il me montra les travaux qu'il demandait aux enfants. Pendant un mois ces derniers avaient champ libre, aucune contrainte de matériel ou de méthode, rien, seule l'imagination et une consigne, simple : Créez ce que vous pensez qu'il manque dans la vie de tous les jours.
Croyez le ou non, aucun de ces enfant n'a eu de peine à trouver quoi faire.
Pendant plusieurs minutes cet enseignant s'est agité dans tous les sens, passant d'une étagère de son bureau à une autre pour me présenter ici l'arbre à recyclage, là le dentifrice contre les chagrins ou encore la double boite Corn-flakes/lait pour verser en un seul geste son petit déjeuner dans son bol, du plus poétique au plus concret, tout y est passé.
Il maniait ces créations en carton et rouleaux de papier WC recyclés comme si cela avait été un Rembrandt, une extrême douceur et sympathie émanait de cet homme.
"Je ne leur apprends pas à faire de l'art, ni même à bien dessiner, je leur apprends à voir." Ce sont ses mots.