"J’ai enfourché mon vélo, attrapé le guidon, lancé le premier coup de pédale, et j’ai vu :
l’appartement au sol gris avec le matelas gonflable, la centrale de ciment au milieu de nulle part, la vieille ville pavée, l’horloge à dorures, le restaurant Ulimann à la bonne cuisine familiale, les plaines embrumées du Seeland, les routes boueuses le long de l’Aar, le talon tordu d’insouciance, les sacoches trop pleines de prudence, les yeux clignotants de fatigue, l’estomac gorgé des fruits de l’effort, l'essoufflement douloureux d’une montée, les nuages gris et les arbres morts, le rayon de soleil et les camions-citernes, de pistes cyclables en routes nationales, la neige et le vent de face sur l’eurovelo 6, les chemins en montagne russe entre Tuttlingen et Sigmaringen, les routes plates au bord du Danube, le Gemischtes vom Grill für 2 Personen avec cinq kilos de viande, les bains thermaux de Ulm, l’entrée dans un village allemand en écoutant Jacques Brel, les panneaux jaunes, les photos de long de la route, le sentiment que partout tout est toujours pareil, les gamins sortant d’une école primaire, le sourire forcé d’une rectrice au tailleur gris, l’incapacité verbale et sympathomane de la dame de l’auberge de jeunesse, la charcuterie du matin, qui d’abord convainc, puis rapidement dégoûte, le Kuchen du soir, les sucres de raisin, les farmers et les fraises tagada, les montées désespérantes, les barres de céréales comme récompense, l’odlo/polaire/k-way, la cagoule et le casque à vélo, la tente encore inutilisée, la langueur du ciel bleu, la propension au départ, la vie de nomade, les habitudes qui s’installent, la phrase lâchée, désinvolte : « finalement plus le monde nous devient étranger plus l’on est en train de le devenir », un quotidien qui se recrée malgré tout dans l’avancement perpétuel, le train de la fin de journée, la boulangerie de Riedlingen, la neige et le blues de Ulm, la vieille ville de Regensburg, la bière d’Ingolstadt, les spätzlis mit Speck und Käse, le sac de couchage sorti pour la première fois, les cornettes au pesto avalées dans le froid nocturne, le rayon de soleil tant attendu, aussitôt disparu, les collines autrichiennes, les vignes mortes du Wachau par temps gris, le vent qui décourage et dégoûte, les gästehaus et privatzimmer fermées sur la route, l’arrivée à Vienne, le Museumsquartier, l’opéra et les maisons folles d’Hundertwasser, les peintures surréalistes de Ernst, les manteaux de fourrure, les avenues piétonnes, les schnitzels démesurées, l’étonnement du simple fait de revoir une foule, l’incrédulité partagée des regards des vieux qui hochent la tête sans comprendre et des enfants qui nous saluent, la grosse dame avec son chapeau et ses cheveux blonds teints de la gare de Bratislava, le serveur chauve, les gros hongrois qui jouent aux échecs dans les bains de Budapest, les employés de la ville occupés à déneiger les rues, les façades art nouveau fissurées, la classe rencontrée, le vieil homme sans-abri de la gare de Keleti, le wagon avec compartiment vélo, l’allée de l’immeuble à la tour-escalier, le conducteur du métro Andrassy changer de sens en passant par le petit quai du terminus, le schnaps de bienvenue, les chaussures trouées et sales du voyage, le vin chaud du marché de Pâques sous la neige, le château de Buda, les rues bondées de Pest, les goulaschs ragoûtantes, les magasins de cartes postales, les vélos cadenassés, les vieux trams jaunes, les sacoches transformées en sacs de ville, les portes-monnaies remplis de florins hongrois, monnaie démesurée, les ruins-bar dans le quartier juif, l’élan du dernier coup de pédale, de la dernière montée, la larme versée et cachée au compagnon de route qu’on quitte, la tête remplie des images qu’il verra encore sur son chemin, avec un peu plus de soleil et sans doute un ciel plus bleu, le train de nuit du retour, l’arrivée à Genève un matin de dimanche où tout est exactement comme avant, pour rêver à nouveau parce que le voyage s’interrompt quand à l’intérieur on prend le temps de digérer ce que le corps a vécu, où les images deviennent souvenirs, presque irréels, lumière d’un phare au cœur de la nuit –"
l’appartement au sol gris avec le matelas gonflable, la centrale de ciment au milieu de nulle part, la vieille ville pavée, l’horloge à dorures, le restaurant Ulimann à la bonne cuisine familiale, les plaines embrumées du Seeland, les routes boueuses le long de l’Aar, le talon tordu d’insouciance, les sacoches trop pleines de prudence, les yeux clignotants de fatigue, l’estomac gorgé des fruits de l’effort, l'essoufflement douloureux d’une montée, les nuages gris et les arbres morts, le rayon de soleil et les camions-citernes, de pistes cyclables en routes nationales, la neige et le vent de face sur l’eurovelo 6, les chemins en montagne russe entre Tuttlingen et Sigmaringen, les routes plates au bord du Danube, le Gemischtes vom Grill für 2 Personen avec cinq kilos de viande, les bains thermaux de Ulm, l’entrée dans un village allemand en écoutant Jacques Brel, les panneaux jaunes, les photos de long de la route, le sentiment que partout tout est toujours pareil, les gamins sortant d’une école primaire, le sourire forcé d’une rectrice au tailleur gris, l’incapacité verbale et sympathomane de la dame de l’auberge de jeunesse, la charcuterie du matin, qui d’abord convainc, puis rapidement dégoûte, le Kuchen du soir, les sucres de raisin, les farmers et les fraises tagada, les montées désespérantes, les barres de céréales comme récompense, l’odlo/polaire/k-way, la cagoule et le casque à vélo, la tente encore inutilisée, la langueur du ciel bleu, la propension au départ, la vie de nomade, les habitudes qui s’installent, la phrase lâchée, désinvolte : « finalement plus le monde nous devient étranger plus l’on est en train de le devenir », un quotidien qui se recrée malgré tout dans l’avancement perpétuel, le train de la fin de journée, la boulangerie de Riedlingen, la neige et le blues de Ulm, la vieille ville de Regensburg, la bière d’Ingolstadt, les spätzlis mit Speck und Käse, le sac de couchage sorti pour la première fois, les cornettes au pesto avalées dans le froid nocturne, le rayon de soleil tant attendu, aussitôt disparu, les collines autrichiennes, les vignes mortes du Wachau par temps gris, le vent qui décourage et dégoûte, les gästehaus et privatzimmer fermées sur la route, l’arrivée à Vienne, le Museumsquartier, l’opéra et les maisons folles d’Hundertwasser, les peintures surréalistes de Ernst, les manteaux de fourrure, les avenues piétonnes, les schnitzels démesurées, l’étonnement du simple fait de revoir une foule, l’incrédulité partagée des regards des vieux qui hochent la tête sans comprendre et des enfants qui nous saluent, la grosse dame avec son chapeau et ses cheveux blonds teints de la gare de Bratislava, le serveur chauve, les gros hongrois qui jouent aux échecs dans les bains de Budapest, les employés de la ville occupés à déneiger les rues, les façades art nouveau fissurées, la classe rencontrée, le vieil homme sans-abri de la gare de Keleti, le wagon avec compartiment vélo, l’allée de l’immeuble à la tour-escalier, le conducteur du métro Andrassy changer de sens en passant par le petit quai du terminus, le schnaps de bienvenue, les chaussures trouées et sales du voyage, le vin chaud du marché de Pâques sous la neige, le château de Buda, les rues bondées de Pest, les goulaschs ragoûtantes, les magasins de cartes postales, les vélos cadenassés, les vieux trams jaunes, les sacoches transformées en sacs de ville, les portes-monnaies remplis de florins hongrois, monnaie démesurée, les ruins-bar dans le quartier juif, l’élan du dernier coup de pédale, de la dernière montée, la larme versée et cachée au compagnon de route qu’on quitte, la tête remplie des images qu’il verra encore sur son chemin, avec un peu plus de soleil et sans doute un ciel plus bleu, le train de nuit du retour, l’arrivée à Genève un matin de dimanche où tout est exactement comme avant, pour rêver à nouveau parce que le voyage s’interrompt quand à l’intérieur on prend le temps de digérer ce que le corps a vécu, où les images deviennent souvenirs, presque irréels, lumière d’un phare au cœur de la nuit –"