On y est. La Chine.
Je suis rentré dans le gigantissime empire chinois par la porte dérobée de la "Chine" Ouïgour autant le dire tout de suite, je n'ai encore rien vu de la Chine avec un grand "C".
Bien difficile pourtant d'éviter la culture chinoise, colonisatrice, expansive et, il faut bien l'avouer, terriblement fascinante.
Dans les rues de Kashgar, les Ouïgours (les descendants du Khan, Gengis pour les intimes) côtoient les colons chinois envoyés de l'Est par le gouvernement et spécialement depuis 2008 avec le programme "développement du Grand Ouest".
C'est donc à grand renfort de bétonneuses et de propagande que les Chinois font de Kashgar la ville qu'elle devient aujourd'hui. Il suffit parfois de traverser un boulevard tout neuf (car les chinois ne sont pas bêtes, et dans un pays aussi grand, le plus important est de construire tout d'abord des routes) vous passez d'un doux chaos entre moutons bêlants et têtes de ces derniers baignant dans leurs bouillon à un hyper-giga marché sur deux rue de 500m avec enseignes clignotantes et à peu près tout.
Car pour les chinois il n'est absolument pas concevable de n'avoir à choisir qu'entre 10 possibilités de nouilles, non, il est essentiel de pouvoir compter sur pas moins de 276 nouilles différentes, 463 types de biscuits allant du gout tofu à celui non moins surprenant de poisson.
La vieille ville de Kashgar est détruite pour être reconstruite en béton tentant vainement de singer l'architecture traditionnelle... pas étonnant de voir des yourtes, traditionnellement faites pour être l'habitation nomade parfaite, être construites par des chinois entièrement en béton.
Sédentarisez-vous qu'ils disaient...
Les Ouïgours ne se laissent pourtant pas faire sans résister...inutile de vous décrire l'attitude de Beijing dans ces cas je pense.
Malgré tout ça, Kashgar séduit, une sorte d'Istanbul préservée du tourisme au porte de l’extrême orient. Tout y est mouvement, bruit, et saveurs. On sent l'arrivée de la Chine comme un frisson traversant l'échine et ce frisson n'est que plus intense la nuit tombée lorsque les petites places se parent de leurs échoppes fumantes, du bruit des crieurs Ouïgours se partageant la scène avec les cris et klaxons des chinois sur leurs scooters, et des lumières clignotantes des publicités. Ne vous étonnez pas si les rues déjà animées la journée deviennent fourmillantes lorsque le soleil à disparu car il est une chose que les ouïgours partagent avec les chinois: ils ne mangent jamais chez eux.
Le soir venu ils sortent dans la rue, s'assoient sur un banc entre un banquier et un éboueur, commandent un bol de nouilles, quelques brochettes de foie de volaille, de champignons, de poisson frit et l'engloutissent à toute vitesse tout en profitant de chaque respiration pour commander le plat suivant. Déambuler entre ces échoppes est une expérience unique, goûter de tout, pleurer parce que c'est trop épicé, rire parce qu'en mordant dans la brochette ce que tu pensais être un oeuf était un oeil, puis recommander une autre brochette parce que la curiosité l'emporte sur la méfiance, voilà ce qu'est vraiment Kashgar.
Parfois le choc est violent, car l'expansion chinoise délaisse les retardataires, le peloton chinois n'a aucune voiture balais et les derniers qui, pour une raison ou une autre, avance plus lentement sont laissés au bon soin de la masse qui a vite fait de les digérer.
Ainsi en arrivant au bazar de Kashgar, la foule qui couvre toutes les ruelles, braillant, poussant, forme tout à coup un ilot, un handicapé sans bras ni jambe se tortille par terre misérablement, bousculé le malheureux ne peux pas se relever, personne ne lui lance un regard et la foule continue son ballet. Lorsque je me retourne l'ilot a disparu, l'espace est à présent piétiné par des milliers de jambes. Le soir venu une femme vêtue d'un gilet orange fluo viendra poser un voile sur ce corps qu'on ne saurait voir. La mort en chine se promène dans la rue, un balais de pailles à la place de la faux. Circulez il n'y a rien à voir ! Les chinois ont obéis ils circulent sans rien voir.
Pourtant, malgré la dureté, j'aime cette ville, et j'espère que j'aimerai autant la Chine, la vraie. Nous partons dans 3 jours en train pour 2 jours de route jusqu'à Lanzhou au centre de la Chine d'où nous partirons Sac au dos pour descendre (comme je l'avais prévu) vers le Sud en longeant la frontière du Tibet. L'hiver ayant déjà commencé nous envoyons donc les vélos à Chengdu et nous les récupérerons dans 2-3 semaines à Chengdu.